Rien n'est jamais inscrit dans le marbre

"Ne jamais oublier qu'il suffit d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des LGBTQIA+ soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Notre vie durant, nous devons demeurer vigilant."

Déportation homosexuelle

Le triangle rose
La déportation des homosexuels, 1933-1945

"Et quand on se demande à propos des "triangles roses" si l'on peut considérer sous un même angle celui qui risque sa vie et celui qui a été puni pour "déviation", c'est assurément raisonner d'une manière qui outrage la vérité de l'Histoire, car c'est aussi pour leur "déviation" que les Juifs et les Tziganes ont été "punis", et non pour "fait de guerre".

Le supplice de la Déviation par rapport à la pureté de la race, déviation par rapport à la reproduction de la race, la motivation était semblable, et, dans l'analyse, il n'est pas possible d'opérer des distinctions, car ce serait trahir la vérité de l'entreprise voulue et organisée par les nazis afin de faire triompher la "race des seigneurs" par l'élimination de tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, constituaient un obstacle à cet objectif.

Alors, effectivement, "Juif ? Homosexuel? Simple citoyen ? La question ne se pose même pas. Victime du nazisme, tout simplement".

Victime du nazisme, tout simplement...

Et c'est bien à cette conclusion - à cette seule conclusion - que doit parvenir tout honnête homme, s'il ne veut pas mentir à la réalité de l'Histoire, c'est-à-dire en définitive à lui-même.

Aussi, quand on évoque la déportation des homosexuels dans les camps de concentration nazis, convient-il de se rappeler avec Baudelaire que l'on ne peut être à la fois "la plaie et le couteau", "le soufflet et la joue", "la victime et le bourreau" !

Et, si certains avaient aujourd'hui la tentation de faire encore référence aux vieilles théories du siècle dernier, en traitant les homosexuels "d'infirmes", comme le fit en 1982 l'évêque de Strasbourg, Mgr Elchinger, il serait alors à constater que la pensée de Himmler continue de sévir dans les esprits, et qu'il y a ainsi danger d'un retour au fascisme hitlérien.

Il se comprend donc que le recours à de telles références soulève indignation et condamnation, car il s'agit là effectivement d' "un langage qu'on croyait à tout jamais disparu", mais qui pourtant se maintient avec insistance.

Et l'on partage ainsi la légitime colère de ce rescapé de l'enfer nazi (Pierre Seel) qui devait rappeler à Mgr Elchinger combien il était ignominieux de traiter les homosexuels "d'infirmes", alors qu'ils avaient tant eu déjà à souffrir de l'arbitraire de telles sottises.

"J'ai décidé, écrira-t-il ainsi à ce prélat, d'apporter mon appui le plus total aux nombreuses voix de tous ceux et celles qui se sont sentis offensés par votre déclaration du 8 avril 1982".

"Victime du nazisme, je dénonce publiquement avec toute ma for-ce que de tels discours ont favorisé et justifié l'extermination de millions d'infirmes pour des raisons politiques, religieuses, raciales ou de comportement sexuel."

"Je ne suis pas un infirme et je ne suis atteint d'aucune infirmité. Je n'ai pas envie de retourner dans les infirmeries où l'on a soigné mon homosexualité et précisément dans un lieu qui se trouve non loin de la capitale alsacienne."

"C'était en 1941, je n'avais que dix-huit ans ! Arrêté, torturé, frappé, emprisonné, interné en dehors de toute juridiction sans aucune défense, ni procès ni jugement... "

"Je suis trop fatigué ce soir pour vous rappeler toutes les tortures morales et physiques et les souffrances indescriptibles et indicibles que j'ai alors endurées."

"Depuis lors toute ma vie a été vécue dans la terrible douleur partagée avec ma famille par suite de cette arrestation arbitraire..."

"Votre déclaration du 8 avril 1982 a éveillé en moi une foule de souvenirs atroces et j'ai encore décidé à cinquante-neuf ans de sortir de l'anonymat."

"Dans ma vie et jusqu'à ce jour je n'ai pas connu la haine pour qui que ce soit. Et pourtant souffrant du désarroi profond dans lequel nous plonge cette homophobie toujours présente, je tremble en pensant à tous les homosexuels disparus et à tous ceux qui à travers le monde sont, hélas! encore torturés ou exterminés avec tant d'autres minorités."

"Mais de ceux-là aussi, on ne parlera jamais Il est vrai que "l'Histoire a son cimetière des oubliés"...

"Mais il serait trop facile de pleurer sur cette constatation et d'en accepter placidement la fatalité, comme si le maintien de cette situation échappait au pouvoir humain. Or il faut bien se persuader que "les oublis ne sont jamais le fait de l'Histoire, qui est aveugle, sans conscience, mais des hommes qui font l'Histoire".

Et, si l'on constate que "l'Histoire a toutes les ruses pour écarter ceux dont elle veut rejeter le souvenir", c'est précisément parce que "les hommes ont leurs raisons pour choisir ou refuser leurs souvenirs", et qu' "ils n'aiment pas que reprennent la parole ceux qu'ils ont décidé d'oublier", laissant ainsi apparaître que "la police des ondes de l'au-delà est leur affaire". Mais au prix de quels mensonges et de quels truquages !

Or, a justement proclamé Simone Veil, qui fut elle-même déportée, "se souvenir, c'est aussi tirer la leçon de l'Histoire, pour que de telles catastrophes ne puissent plus."

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le triangle rose :
La déportation des homosexuels

1933-1945
Jean Boisson
Edition Robert Laffont

8 euros (édition poche)
Sortie en
1988

Moi Pierre Seel, déporté homosexuel

"Pour un plaisir, mille douleurs."

Citation de François Villon (1463)

  

Cette phrase résume le destin tragique de cet homme marqué à jamais dans son cœur et dans son corps, par la cruauté nazie. Pierre Seel se souvient...

  

"Les zazous étaient bien évidemment détestés des nazis qui, de l’autre côté du Rhin, avaient depuis longtemps décimé l’avant-garde culturelle allemande, interdit le jazz et tous les signes visibles d’une quelconque particularité comme autant de dégénérescences de la culture germanique et d’excentricités insolentes à l’égard de l’ordre nouveau. En tant que zazou, je bénéficiai donc d’un traitement de faveur."

  

Le destin de ce jeune dandy élégant et raffiné de 17 ans bascule un jour de 1939. Pierre Seel se fait voler sa montre par un inconnu dans un lieu de drague de Mulhouse. Il dépose, alors, une plainte au commissariat de la ville, qui la classe dans le fichier "homosexuel".

 

"Et surtout, comment imaginer que j’allais, à cause de cela, tomber dans les griffes des nazis ?"

 

À 18 ans, quelques mois après l’invasion de l’Allemagne en Alsace et en France, il se fait arrêter et déporter par la Gestapo, grâce aux fichiers de la police française. Sa famille ignorait tout de son homosexualité. Avec une douzaine d’homosexuels, Pierre Seel est arrêté, le 2 mai 41. Il subit, alors, des tortures inimaginables pendant près de 13 jours et 13 nuits, ininterrompus :

"Au début, nous parvînmes à résister à la souffrance. Mais après, ce ne fut plus possible. L’engrenage de violence s’accéléra. Excédés, par notre résistance, les SS commencèrent à arracher les ongles de certains d’entre nous. De rage, ils brisèrent les règles sur lesquelles nous étions agenouillés et s’en servirent pour nous violer. Nos intestins furent perforés. Le sang giclait de partout. J’ai encore dans les oreilles nos cris d’atroce douleur."

 

À l’aube du 13 mai 1941, il fut déporté au camp de concentration de Schirmeck, dans la vallée de la Bruche, à 30 km de Strasbourg. Pierre n’y porte pas le triangle rose, mais la barrette bleue, réservé aux religieux, du fait de son catholicisme et aux asociaux.

 

"Aucune des horreurs de Schirmeck ne me fut épargnée. Je devins rapidement un pantin désarticulé sous les hurlements des SS, attaché à exécuter toutes sortes d’ordres et de tâches épuisantes, dangereuses ou simplement ineptes."

 

Il n’y avait aucune solidarité pour les homosexuels, ils appartenaient à la caste la plus basse. Les détenus même entre eux les prenaient comme cible. Un matin, alors que les prisonniers sont rassemblés dans la cour, Pierre Seel reconnaît son ami Jo, le garçon de 18 ans qui fut son premier amour.

"...ils lui enfoncèrent violemment sur la tête un seau en fer-blanc. Ils lâchèrent sur lui les féroces chiens de garde du camp, des bergers allemands qui le mordirent d’abord au bas-ventre et aux cuisses avant de le dévorer sous nos yeux. Ses hurlements de douleur étaient amplifiés et distordus par le seau sous lequel sa tête demeurait prise. Raide et chancelant, les yeux écarquillés par tant d’horreur, des larmes coulant sur mes joues, je priai ardemment pour qu’il perde très vite connaissance. Depuis, il m’arrive encore souvent de me réveiller la nuit en hurlant. Depuis plus de 50 ans, cette scène repasse inlassablement devant mes yeux. Je n’oublierai jamais cet assassinat barbare de mon amour. Sous mes yeux, sous nos yeux. Car nous fûmes des centaines à être témoins..." nous raconte-t-il les larmes aux yeux. Depuis cette époque, il a une peur bleue des chiens.

 

Après 6 mois de détention, en novembre 41, Pierre Seel est transféré dans le Reich Arbeitsdienst. Considéré citoyen allemand du fait de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, il est ensuite incorporé de force dans l’armée allemande et envoyé au front en Yougoslavie et en Russie le 15 octobre 1942.

 

"Donc, la guerre à 18 ans et demi, et sous l’uniforme allemand... Servir dans la Wehrmacht a été par moment plus difficile moralement et physiquement que le camp de concentration. Il fallait tirer sur les alliés russes, et nous souffrions énormément du froid."

 

Pendant l’hiver 44, il déserte les rangs de l’armée allemande, en compagnie de son lieutenant et se rend aux Russes.

 

"Qu’allait-il advenir de moi ? Pour essayer de survivre dans cette nouvelle situation, il me fallait à nouveau changer d’identité. Qui étais-je ? Alsacien ? Français ? Allemand ? Etais-je traître ? Déporté ? Prisonnier ? Déserteur ? J’étais pour l’instant celui qui tentait d’échapper aux balles d’un conflit où je n’avais pas ma place... J’avais échappé à la torture de la Gestapo, à l’internement de Schirmeck, aux corps à corps de Croatie, aux bombes de Berlin et de Grèce, au mitraillage de Smolenck et aux rafales russes lors de ma désertion, et j’allais finir ainsi sous les balles russes, celles des libérateurs de la moitié de l’Europe, aussi absurdement ?..."

  

Hiver 44, recueilli par la Croix Rouge, rapatrié par train, Pierre Seel, au bord de l’épuisement mental et physique parcourut plus de 1.000 km, pour revenir en Alsace. Il fut inscrit sous le nom de Celle, originaire de Delles, territoire de Belfort, tant la tension française était forte.

 

"Cacher que j’étais alsacien ! Toujours ce camouflage, ces demi-véritées, cette obligation du secret."

 

7 août 45, il arriva enfin à Paris, il fut enrôlé comme secrétaire pour l’enregistrement de cette marée humaine, qui n’arrêtait pas de déferler de toute l’Europe. Pierre Seel rentra enfin en Alsace avec les tous derniers...

 

"...dans mon cas, il n’était pas question de tout dire (aux journalistes). Je commençais déjà à censurer mes souvenirs et je réalisais qu’en dépit de mes attentes, en dépit de tout ce que j’avais imaginé, de l’émotion du retour tant espéré, la vraie Libération, c’était pour les autres."

 

De retour à la vie civile, le cauchemar a continué : les années de honte, le mur de réprobation dressé devant lui, l’homosexualité inavouable, la décision de mener une existence "comme les autres", le mariage et la vie réglée.

 

"L’homosexualité était synonyme de honte et de péché mortel dans la société catholique et bourgeoise d’après-guerre."

Mais aussi, l’homosexualité en France a été pénalisée sous le gouvernement de Pétain en 1942, et repénalisé (article 331 du code pénal) à la Libération sous le régime du Général De Gaulle. En 1960, l’amendement Mirguet classe l’homosexualité "fléau social" et donne au gouvernement le droit de légiférer par décret pour la combattre. Ce n’est qu’à l’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981 que les autorités françaises ont cessé de ficher les homosexuels. Quant à l’Allemagne, le fameux paragraphe 175 du code pénal qui punissait l’homosexualité - à l’origine de l’arrestation de Pierre Seel - a été abrogé en 1969.

 

Pour tenter d’oublier son ami Jo et des penchants affectifs qui faisait de lui un paria vis-à-vis de la loi française, après 4 années de solitude, de chuchotements et du décès de sa mère, (la seule de la famille qui recueillit tous ses souvenirs), Pierre Seel décide de se marier avec une catholique et espagnole, le 30 septembre 1950.

 

"Tout se présentait bien. Mais pourquoi nous installâmes-nous à Mulhouse ? Et de surcroît dans la maison paternelle ? Rétrospectivement, je pense que ce fut là une grande erreur. Car non seulement je ne bougeai pas de mes murs d’enfance, mais nous couchions dans la chambre où ma mère était morte. Je suis aujourd’hui convaincu que j’aurais dû fonder mon foyer loin de l’Alsace, et n’inventer qu’à deux notre vie commune. J’aurais certainement ainsi rendu ma femme plus heureuse."

 

Devenu directeur de société, il restera marié pendant 28 ans et aura quatre enfants.

 

"Mais je n’ai jamais oublié ma vraie nature et mon ami Jo. Je pleurais chaque fois que je faisais l’amour à ma femme. Le spectre de Jo me hantait."

 

"Pendant 40 ans, j’ai vécu avec un mouchoir sur la bouche", avoue Pierre Seel.

 

Il aura fallu les attaques homophobes de l’évêque de Strasbourg à l’occasion d’une réunion de l’ILGA en 1982 pour qu’il sorte enfin du silence dans lequel il s’était emmuré. Il publie une lettre ouverte pour répondre aux propos offensants de l’évêque qui traitait les homosexuels d’"infirmes", s’exposant ainsi au regard de sa famille, à qui il avait toujours caché son amour des garçons.

 

Depuis, de commémoration en conférence et de pays en pays, Pierre Seel se bat pour la reconnaissance de la déportation des homosexuels par le régime nazi, et dénonce le traitement qu’ont subi les gays à la Libération, au même titre que les criminels : ils n’ont pu demander ni indemnisation ni reconnaissance, et se voyaient forcés de retrouver leur rang de clandestin dans la vie civile. Certains ont même été remis en prison pour leur vice.

 

Lorsque Pierre Seel voit les triangles roses fleuris, qu’il dépose en mémoire des victimes de la barbarie nazie, piétinés dans plusieurs villes du Nord de la France - ou Catherine Trautmann, ancien Ministre de la Culture, alors maire de Strasbourg, refuser de lui serrer la main lors d’une cérémonie - on comprend qu’il soit blessé à nouveau, et qu’il s’indigne. Lors de ses récents voyages en Allemagne, Pierre Seel avoue avoir été bien mieux accueilli qu’en France.

 

"A Berlin, les autorités m’ont adressé leur pardon. Je n’éprouve pas de haine contre les Allemands. Ils sont plus sensibles aux dérapages fascistes que les Français - ce genre d’incident n’arrive pas là-bas."

 

Sachant qu’en Allemagne, fort d’une administration spéciale chargée de la lutte contre l’homosexualité, le nazisme engendrera 100.000 procédures et 45.000 condamnations pour "lubricité", "onanisme" et "actes contre-nature" - contre moins de 1.000 peines infligées en 1934. Depuis son divorce et la parution de son livre, sa famille lui a tourné le dos.

 

"Je n’ai jamais vu mes petits-enfants", lâche-t-il, dépité. "Ça me fait mal, ça continue mon camp de concentration."

 

Après le divorce, sa femme a tout gardé, meubles, argent, ainsi que toutes les photos de son passé.

 

Et les agressions continuent...

Pierre Seel dénonce le climat d’homophobie qui continue à gangrener notre société. En sus des incidents qui marquent régulièrement les cérémonies françaises de commémoration auxquelles il prend part, il a été la victime d’agressions homophobes à plusieurs reprises : menaces de mort, croix gammées ou insultes peintes sur la porte de son appartement. On peut comprendre son désarroi lorsqu’on sait que les jeunes générations continuent à grandir dans un climat où l’homosexualité est occultée, que ce soit dans les livres d’histoire, dans la cour de l’école ou dans les familles.

 

Sait-on seulement que les homosexuels ont été dans les premières charrettes de déportation bien avant et dès la prise de pouvoir en Allemagne des nazis ? De la destruction de l’Institut pour la Recherche de la Sexualité de Magnus Hirschfeld en mai 1933 aux centaines d’assassinats (dont celui d’Ernst Roehm) qui ont marqué la Nuit des Longs Couteaux ? Des directives sanglantes de Himmler à la création du Département spécial pour la lutte contre l’homosexualité et l’avortement par les SS ? Des expériences médicales inhumaines tentées sur les détenus au déni de toute reconnaissance aux victimes homosexuelles après la Libération ?... Autant de faits qui sont étonnamment absents des documents historiques, et qui sont un affront tant à la mémoire des dizaines de milliers d’homosexuels morts dans les camps qu’à celle des homosexuels d’aujourd’hui.

 

"C’est peut-être cela être homosexuel aujourd’hui, savoir qu’on est lié à un génocide pour lequel nulle réparation n’est prévue", a écrit Guy Hocquenghem.

 

Pierre Seel ne pourra jamais oublier l’horreur. Mais il a aujourd’hui retrouvé une certaine sérénité et une épaule sur laquelle se reposer. Depuis 12 ans, il vit avec son ami Éric, qui a créé un chenil à Toulouse. Le couple a même récemment fait l’acquisition d’un Rottweiler et d’un Berger belge.

 

"Pendant les quarante ans qui ont suivi la mort atroce de mon ami Jo, je n’ai pas osé toucher un chien", confie-t-il. "Mais grâce à mon ami, j’ai pu vaincre ma peur. Ma chienne Nina est aujourd’hui un bonheur quotidien."

 

Depuis la parution de ce livre magnifique, émouvant, bouleversant, qui vous apporte, à sa lecture, des larmes aux yeux, qui vous prend aux tripes, qui ne peut vous laisser de marbre...

 

Renoué avec la deuxième génération, notamment sa nièce ; néanmoins, le reste de sa famille lui reproche toujours et encore ce qu’il a fait subir à ses proches, du fait de son homosexualité...

 

Et, pourtant, une lumière d’espoir brille dans la nuit pour tous et tous ces déportés homosexuel-les en Europe...

 

Le Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand, s’est officiellement excusé le 7 décembre 2000 auprès des homosexuels persécutés sous le nazisme et encore condamnés par le code pénal allemand jusqu’en 1969.

"Le parlement est persuadé que l’honneur des victimes homosexuelles du nazisme doit être reconstruit et s’excuse des atteintes portées jusqu’en 1969 aux citoyens homosexuels dans leur dignité humaine, leur épanouissement et leur qualité de vie", ont affirmé les députés dans une motion déposée par le parti social-démocrate (SPD) et les Verts au pouvoir, puis adoptée à l’unanimité. Le Parlement a également engagé le gouvernement à présenter un rapport sur l’indemnisation des victimes homosexuelles du nazisme. Entre 5 et 10.000 homosexuels ont connu les camps de concentration.

 

Néanmoins, malgré une circulaire établie par le Premier Ministre, Lionel Jospin, où il est demandé aux préfets d’indiquer aux associations homosexuelles qui ont manifesté le désir de participer aux cérémonies officielles et de déposer une gerbe "pour rendre hommage à leurs aînés" qu’elles "peuvent se joindre, comme tout citoyen, à l’hommage que la France rend chaque année aux victimes du nazisme, et les autoriser, le cas échéant, à déposer une gerbe de fleurs après les cérémonies officielles", il s’est avéré que dans certaines villes françaises (Lille, Montpellier, Nantes, Rouen), la réaction de la Préfecture et/ou de la Mairie a été encore plus négative que les autres années et que les associations ont ressenti une forte homophobie de leur part...

  

 

 

 

 

 

 

 

 

Biographie de Pierre Seel :
"
Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel"
aux
éditions Calmann-Lévy
Année de sortie : 1994

14,00 euros

  

 

 

 

Le 23 février 2008 à Toulouse inauguration de la rue Pierre SEEL, dans le quartier du Port Saint Sauveur

Les hommes au triangle rose

Ce n'est que depuis mi-1970 que la moindre attention ne fut portée concernant la persécution et l'enterrement d'homosexuels par les nazis durant le troisième Reich.

 

Dès lors, de nombreux livres ont déterré cette histoire pratiquement enfouie, tout comme "Le Triangle Rose" (ainsi que "Bent", la pièce de théâtre de Martin Sherman). "L'homme au triangle rose", raconté à première-personne par Heinz Heger, était l'un des premiers ouvrages à ce sujet et reste également l'un des plus importants.

 

En 1939, Heinz Heger, un étudiant universitaire viennois, fut arrêté avant d'être incarcéré pour "dégénérescence".

 

Il fut transporté à Sachsenhausen en l'espace de quelques semaines, un camp de concentration situé dans l'Allemagne de l'Est, où il fut contraint à porter un triangle rose pour montrer son crime: celui d'être homosexuel. Il fut emprisonné jusqu'à la fin de la guerre en 1945, sous d'horribles conditions. L'homme au triangle rose démontre l'habilité de Heinz Heger sous forme de courtes proses qui arrivent à commémorer - et communiquer - les moindres détails et toute leur résonance. Le mépris et la douleur de la vie au sein d'un camp de concentration - la malpropreté constante, la mort et sa présence incessante ainsi que la cruauté à peine croyable des hommes au pouvoir - tout y figure. Ceci dit, l'histoire de Heinz Heger serait intolérable si ne n'était pour son courage, le courage des autres et sa volonté de survivre et témoigner. Certes, c'est un livre dérangeant mais qui se doit d'être lu par ceux concernés par la justice sociale, les droits humains et l'histoire générale de l'homosexualité. Michael Bronski


C'est un témoignage poignant qui nous est livré ici.


Minorité souvent oubliée lors des commémorations, les homosexuels ont fait partie des victimes des nazis, ce qui a représenté environ 150 000 individus étiquetés "
triangle rose".


Outre l'enfer au quotidien d'un camp de concentration, les tortures, l'instinct de survie, relatés avec beaucoup d'émotion, ce témoignage révèle certains faits assez stupéfiants :


- la sexualité dans les camps de concentration : présence de "
bordel" hétérosexuel, mis en place par les nazis, avec comme filles de joies des déportées à qui on a faussement promis une libération au bout de six mois contre la mise à disposition de leurs corps... au profit des autres déportés du camp. "Le jour de l'ouverture, à cinq heures du soir, une centaine de prisonniers attendaient devant la porte du Sonderbau. Il resta ouvert jusqu'à vingt et une heures. Le nombre de clients ne faiblit à aucun moment. Dans la file des déportés qui riaient et se réjouissaient d'aller chez les femmes, il n'y avait pas que des hommes forts et valides, les kapos et leurs aides, mais aussi des épaves humaines, rongées, affamées, pitoyables, entre la vie et la mort. Certains donnaient l'impression qu'ils allaient se briser en mille morceaux, et pourtant, ils venaient encore chercher leur plaisir".


- le silence d'après guerre sur cette catégorie de victimes, et l'absence de dédommagement, les difficultés de réinsertion.

- la pression d'autres associations de déportés faisant bloc contre la tentative de reconnaissance des déportés homosexuels. (détaillé dans la préface sous la plume de Jean le Bitoux).
- Les brimades de certaines autres catégories de déportés, dans un camp, sur la catégorie "
triangle rose".

 

 

 

 

 

 

 

Les hommes au triangle rose

De Heinz Heiger

Edition de Poche

Préface de Jean Le Bitoux

Date de sortie : avril 2006

Prix éditeur : 6,90 euros

179 pages

ISBN : 2845471122

Rudolf Brazda Itinéraire d'un Triangle rose - Jean-Luc Schwab

"Si j'admets qu'il y a 1 à 2 millions d'homosexuels, cela signifie que 7 à 8% ou 10% des hommes sont homosexuels. Et si la situation ne change pas, cela signifie que notre peuple sera anéanti par cette maladie contagieuse. À long terme, aucun peuple ne pourrait résister à une telle perturbation de sa vie et de son équilibre sexuel... Un peuple de race noble qui a très peu d'enfants possède un billet pour l'au-delà : il n'aura plus aucune importance dans cinquante ou cent ans, et dans deux cents ou cinq cents ans, il sera mort... L'homosexualité fait échouer tout rendement, tout système fondé sur le rendement; elle détruit l'État dans ses fondements. À cela s'ajoute le fait que l'homosexuel est un homme radicalement malade sur le plan psychique. Il est faible et se montre lâche dans tous les cas décisifs... Nous devons comprendre que si ce vice continue à se répandre en Allemagne sans que nous puissions le combattre, ce sera la fin de l'Allemagne, la fin du monde germanique "

 

Discours du chef nazi HimmIer sur l'homosexualité prononcé le 18 février 1937


"II faut abattre cette peste par la mort."

Autre discours d'HimmIer 16 novembre 1940

 

Des dizaines de milliers d'homosexuels furent déportés par les nazis. L'organisation de cette déportation ne fut cependant pas systématique et les déportés homosexuels n'étaient pas exterminés à leur arrivée dans les camps contrairement aux Juifs et aux Tsiganes.

 

En Allemagne, depuis le XIXe siècle, l'article 175 du code pénal punissait l'homosexualité. Cet article fut particulièrement appliqué après l'arrivée de nazis au pouvoir et plus nettement encore après 1938. Les homosexuels arrêtés étaient d'ailleurs surnommés les "Hundert-fünf-und-siebzig", les "175", dans les camps. "Libéralisé"  en 1969, le paragraphe 175 du code pénal n’a formellement disparu qu’en 1994, à la faveur de la réunification. Cinquante-cinq ans. C’est le temps qu’il aura fallu à l’Allemagne pour se préoccuper officiellement des dizaines de milliers d’homosexuels déportés sous le régime nazi.

 

Le probable dernier "Triangle rose" survivant des camps nazis, Rudolf Brazda, livre à l'aube de ses 97 ans un témoignage unique et bouleversant sur l'histoire des déportés pour homosexualité.

 

Matricule 7952 au camp de concentration de Buchenwald à partir de 1942, Rudolf Brazda est né en 1913 près de Leipzig de parents tchèques émigrés en Allemagne. Il sera condamné deux fois par le régime nazi en raison de son homosexualité, puis déporté 32 mois à Buchen-wald.

 

Le témoignage de Rudolf Brazda constitue une facette d'une vérité historique assez peu documentée, la déportation pour homosexualité, mais raconte aussi la vie d'un homme à la capacité d'émerveillement toujours intacte malgré les épreuves et son grand âge.

 

Après la libération du camp, il s'installe en Alsace avec un compagnon qui partagera sa vie pendant plus de 50 ans. Il raconte aussi cet "après" beaucoup plus heureux.

 

Sous le nazisme, plus de 50.000 homosexuels ont été condamnés en vertu d'un article du code pénal abrogé seulement en 1969.

 

Des déportés homosexuels ont été soumis à des expérimentations médicales: injections hormonales, voire lobotomies ou castrations. Certains furent ainsi livrés aux chiens des S.S. qui les dévorèrent devant les autres déportés.

 

Pendant longtemps, la déportation des homosexuels fut niée, cachée ou sous-estimée.


A la fin des années 1990, des organisations d'homosexuels tentèrent de participer aux cérémonies de commémoration, déposèrent des gerbes avec le triangle rose. Cela fut pris comme une provocation par beaucoup des organisations traditionnelles de la résistance. Les associations représentatives des homosexuels en France et des sites Internet eurent parfois tendance à surestimer le nombre d'homosexuels déportés et quelques-uns chargèrent la barque au point de parler de "génocide" des homosexuels et de comparer la déportation homosexuelle à la Shoah.


De leur côté, certaines associations de résistants ou de déportés nièrent la déportation homosexuelle et rejetèrent avec parfois une certaine violence, au moins verbale, les homosexuels des cérémonies de commémoration.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Rudolf Brazda.

Itinéraire d'un Triangle rose"

de Jean-Luc Schwab
Edition Florent Massot

Date de sortie : Mai 201O

253 pages

19,90 euros

Le 29 avril 2011

Il faudra plus 66 ans de Patience à Rudolf Brazda matricule 7952, déporté car homosexuel, pour être décoré de la Légion d'honneur.

Il faudra plus 66 ans de Patience à Rudolf Brazda matricule 7952, déporté car homosexuel, pour être décoré de la Légion d'honneur.

 

Au moment de recevoir cette décoration, Rudolf Brazda est le dernier "triangle rose" en vie.

  

Pour la première fois, un ancien déporté homosexuel a reçu la Légion d’honneur. Une cérémonie qui a permis à Rudolf Brazda de témoigner une nouvelle fois de son calvaire face à des collégiens.

 

La République aura mis le temps, mais elle y a mis les formes. Hier, Rudolf Brazda, probablement le dernier triangle rose encore en vie, a reçu la Légion d'honneur. Décernée ce week-end sur le contingent de François Fillon, la distinction lui a été remise dans un collège de Puteaux (92). Et tout le barnum des cérémonies du genre avait été déployé : cortège avec jeep militaire et traction, portrait géant de De Gaulle devant le collège, haies d'honneur d'anciens combattants et d'ados pour une arrivée au son du Chant des partisans, le tout en présence d'élus et de personnalités. Parmi eux, le conseiller régional d'Ile-de-France Jean-Luc Roméro (lire son discours), la députée-maire UMP de Puteaux, Joëlle Ceccaldi-Raynaud (condamnée par le passé pour diffamation homophobe…), l'ancien résistant Raymond Aubrac et Marie-José Chombart de Lauwe, Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.

Après la diffusion d’un petit film à la gloire de la municipalité de Puteaux, Marie-José Chombart de Lauwe a pu ouvrir la cérémonie, et rappeler que les nazis "avaient une image bestiale de l’homosexualité, qu’ils considéraient comme une maladie et une perversion. Dans les camps, les homosexuels ont subi les pires crimes, des castrations, des expérimentations médicales ou des lobotomies." Surtout, elle a estimé que "la mémoire oubliée des triangles roses était enfin reconnue et transmise".

 

"Au nom de tous ceux qui ont souffert"

Pour Rudolf Brazda, 98 ans, c’est peut-être l’essentiel. Même s’il se déplace péniblement, il témoigne toujours infatigablement de son histoire, pour la transmettre à tout prix aux jeunes générations et briser l’amnésie collective. Avant même d’être promu Chevalier de la Légion d’honneur, il avait prévu une visite dans ce collège, pour dialoguer avec les ados. Et après avoir reçu sa distinction, "au nom de tous ceux qui ont souffert", il a répondu aux questions d’élèves de 4e et de 3e.

 

Pour eux, ce pan de l’histoire du nazisme, quasi absent des manuels scolaires, était souvent méconnu, et sa découverte a été un choc. Leur prof d’histoire a longuement travaillé en amont, préparé une exposition sur les déportations des homosexuels, et avoue avoir été agréablement surpris par l’implication de ses classes. La voix fatiguée, Rudolf Brazda leur a raconté son calvaire, ses arrestations en Allemagne puis en Tchécoslovaquie, son arrivée à Buchenwald en 1942 et le souvenir qui ne l’a jamais quitté de la désinfection qu’il a subie le premier jour, son dégoût pour "l'hypocrisie" des nazis, le jour où il a échappé aux marches de la mort juste avant la libération du camp, ou son retour à la vie, avec son compagnon, à Mulhouse.

 

"Marque de civilisation"

"Si on ne l’avait pas rencontré, on n’aurait rien su de tout ça, expliquent trois collégiens à l’issue de la cérémonie. Maintenant, il faut qu’on en parle aux autres, pour que cela se sache." Coutumier des cérémonies en honneur aux victimes de la guerre, René Aubrac avoue n’en "avoir jamais vécu une comme celle-là. En revenant de déportation, nos camarades ont évoqué les triangles roses, puis ils ont été oubliés. C'est une grande marque de civilisation de les reconnaître."

 

Reste à savoir si cette reconnaissance ira jusqu'à une place officielle pour les hommages aux Triangles roses dans toutes les cérémonies du 8 mai.

 

Rudolf Brazda meut paisiblement quatre mois plus tard, le 3 août 2011 ses cendres sont placées à côté de celles de son défunt compagnon, Edi, dans la tombe familiale de ce dernier au cimetière de Mulhouse.

Triangle rose, La persécution des homosexuels et sa mémoire

La déportation des homosexuels est devenue depuis les années 1970 l'objet d'une revendication identitaire pour la communauté homosexuelle : à New York, Berlin, Paris, Amsterdam et ailleurs, le triangle rose est brandi lors de manifestations afin de commémorer les martyrs du groupe, de se souvenir, et de défendre des droits. Les revendications de reconnaissance ont souvent été mal accueillies par les autorités nationales et par certains anciens déportés car les homosexuels entraient en concurrence avec d'autres groupes de victimes de la déportation tels que les juifs ou les politiques... Mais l'émergence de la voix des Tsiganes et les témoignages de rescapés homosexuels, comme Pierre Seel ou Rudolf Brazda, font aujourd'hui rebondir cette question. Il fallait le travail des historiens et la distance d'une génération pour comprendre les controverses.

 

A Berlin, Paris et Amsterdam, l'auteur a travaillé sur les archives de la déportation, il a assisté aux commémorations, enquêté sur la construction des monuments, leur financement et leur conception. Il a rencontré les acteurs politiques tout comme les militants associatifs d'hier et d'aujourd'hui.

 

Régis Schlagdenhauffen, lauréat 2010 du prix Fondation Auschwitz/Jacques Rozenberg, est docteur en sociologie à l'université Strasbourg. Il a écrit une thèse sur la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme en Europe de l'Ouest et publié La Bibliothèque Vide et le Mémorial de l'Holocauste (L'Harmattan 2005).

  

  

  

  

  

Triangle Rose

"La persécution nazie des homosexuels

et sa mémoire"

Régis Schlagdenhauffen

Edition Autrement

290 pages

Date sortie : Janvier 2011

ISBN 9782746714854

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