Pier Paolo Pasolini

Crime

1975, l'assassinat de Pasolini : un cold case à l'italienne

Une dispute qui tourne mal ? Un chantage ? La main de la pègre ou de l'extrême droite ? Près d'un demi-siècle après le meurtre de Pier Paolo Pasolini, cinéaste et écrivain, ouvertement homosexuel, provocateur qui ne manquait pas d'ennemis, le mystère demeure.

Pier Paolo Pasolini, Rome 1960 - Photo : Farabola / Leemage
Pier Paolo Pasolini, Rome 1960 - Photo : Farabola / Leemage

Ne saura-t-on jamais ce qu'il s'est passé ? Probablement pas. Dès le départ, l'enquête a été bâclée, la scène du crime piétinée, les témoins ont perdu la mémoire ou sont passés de vie à trépas. Pour la journaliste et criminologue Simona Zecchi, qui a publié deux livres d'enquête sur cette affaire, les autorités italiennes n'ont jamais eu vraiment la volonté de faire la lumière. "L'Italie a un problème avec la vérité, parce que cette vérité a souvent traversé la partie obscure de nos institutions", estime-t-elle.

 

Dans la nuit 1er au 2 novembre 1975, Pasolini, 53 ans, est assassiné à Ostie, sur une plage du littoral de Rome. Il a été roué de coups, puis une Alfa Romeo GT, la sienne ou une autre, est passée sur son corps. Le même jour, Giuseppe "Pino" Pelosi, un prostitué de 17 ans, est arrêté au volant de la voiture de la victime. Il se dit seul coupable, affirmant s'être défendu d'une tentative de viol de la part du réalisateur. Pino Pelosi est condamné l'année suivante à neuf ans et sept mois de prison.

 

Mis à mort par un jeune homosexuel, son corps retrouvé dans un quartier misérable de la capitale, Pasolini "est la victime de ses personnages, une tragédie parfaite, prévue dans ses divers aspects", dira le cinéaste Michelangelo Antonioni. Pino Pelosi reviendra en 2005 sur ses aveux, incriminant, sans les identifier, trois inconnus à l'accent sicilien. Il affirmera avoir tu la vérité pour protéger sa famille.

 

En 2010, une enquête est rouverte : cinq ADN prélevés sur les vêtements de Pasolini sont exploitables. Mais en 2015, le juge prononce un non-lieu.

 

Sur les cinq profils ADN, un seul a pu être attribué, celui de... Pino Pelosi. La présence sur place d'autres voyous la nuit du drame ne fait pourtant aujourd'hui aucun doute. Le nom des frères Borsellino, entre autres, apparaissait déjà en 1975 mais ils n'avaient pas été jugés et sont morts depuis.

 

Un crime politique ?

Pour la justice, le dossier est classé. Pour d'autres, amis ou journalistes, l'affaire Pasolini est un "cold case". Pino Pelosi n'aurait été que l'instrument d'un complot. Mais un complot ourdi par qui ? Pourquoi ? "La grande difficulté, c'est que personne n'était au courant de tout sur toute la chaîne, des exécutants aux commanditaires, il y a eu probablement plusieurs strates", explique à l'AFP l'écrivain français René de Ceccatty, son biographe. "A partir du moment où on accepte que ce fût un crime politique, on ne s'étonne pas qu'il y ait autant de brouillard".

 

En 1975, l'Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent depuis la guerre. Ce sont les années de plomb. Les groupes armés d'extrême gauche pratiquent l'assassinat, des groupuscules néo-fascistes commettent des attentats sanglants. Pasolini est proche du Parti communiste italien, le PCI, qui fera 35% aux législatives de 1976.

 

Peu avant sa mort, le réalisateur avait reçu des menaces pour son ultime film, "Salò ou les 120 journées de Sodome", qui dénonçait de façon féroce la "République sociale italienne" (1943-1945), dernier avatar du fascisme en Italie.

 

Autre hypothèse : dans un chapitre disparu de son livre posthume et inachevé "Pétrole", Pasolini devait accuser le patron du groupe énergétique ENI, Eugenio Cefis, d'avoir assassiné son prédécesseur, Enrico Mattei, mort dans un accident d'avion causé par un explosif. Là encore, il n'existe aucune preuve formelle.

 

Pour Simona Zecchi, le poète a bien été tué pour ses activités de journaliste.

 

La piste la plus sérieuse, selon elle, est celle de la piazza Fontana, l'attentat néo-fasciste commis à Milan le 12 décembre 1969 et qui avait fait 17 morts et plus de 80 blessés. Le 14 novembre 1974, Pasolini faisait paraître une tribune atomique dans le quotidien Il Corriere della Sera : "Je connais les noms des responsables (...) mais je n'ai pas de preuves".

 

Reste l'hypothèse d'un chantage. Au mois d'août 1975, des bobines de "Salò" sont volées à Rome. Pelosi aurait été l'intermédiaire. Les enquêteurs n'y croient pas. Le film était quasiment monté. "Le vol n'avait pas représenté un préjudice significatif", conclut l'arrêt de non-lieu de 2015 consulté par l'AFP.

 

Avec AFP

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Mémoire

Pasolini, le poète assassiné, aurait eu 100 ans

Pier Paolo Pasolini aurait eu 100 ans le 5 mars. Demeure l'œuvre protéiforme de l'enfant terrible des lettres et du cinéma italiens, dont le meurtre jamais élucidé en 1975 continue de nourrir la légende.

Pier Paolo Pasolini
Pier Paolo Pasolini

Poète, écrivain, cinéaste, dramaturge, critique, acteur, journaliste, "PPP" a laissé un corpus profus, marqué par la recherche formelle et l'engagement politique. Une sorte d'évangile rédigé par un apôtre agnostique, marxiste et homosexuel. "C'est avant tout un poète que nous perdons, et les poètes ne sont pas si nombreux dans le monde". Tels sont les mots de son ami Alberto Moravia, auteur du "Mépris", lors des funérailles officielles le 5 novembre 1975, trois jours après sa mort.

 

En une vingtaine d'années d'activité artistique, Pasolini, souvent comparé à Jean Cocteau ou Jean Genet, aura provoqué de violentes controverses face à la critique bourgeoise, la censure chrétienne et la menace néo-fasciste. Ses vers, sa prose, son théâtre, ses films et ses nombreuses chroniques constituent une poétique sombre dans laquelle ce proche de Godard et Fellini interroge la modernité d'une Italie à la fois millénaire et adolescente.

 

Encore rural et laborieux, le pays découvre l'électroménager, la télévision, la voiture individuelle, mais aussi le chômage, les bidonvilles, le sous-prolétariat. "Lincoln a aboli l'esclavage, l'Italie l'a rétabli", fait dire Pasolini au protagoniste de l'"Accattone" (le mendiant), son premier film réalisé en 1961 qui traite du "miracolo economico" du point de vue des laissés-pour-compte.

"Toute sa vie il a cherché un monde archaïque, pré-industriel, pré-mondialisé, paysan, qu'il jugeait innocent", explique à l'AFP son amie, l'écrivaine italienne Dacia Maraini, qui co-signa le scénario des "Mille et une nuits" (1974).

 

"Scandaliser est un droit

Pasolini jouit déjà d'une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques ("Le rossignol de l'église catholique", "La meilleure jeunesse" et surtout "Les cendres de Gramsci") quand le cinéma le fait connaître à l'étranger. Passant du réalisme ("Accattone", "Mamma Roma") à l'adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu'au dernier, le sulfureux "Salò ou les 120 jours de Gomorrhe" en 1975, qui sortira après sa mort.

 

Il a aussi signé "L'évangile selon saint Matthieu" (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, "Théorème" (1968), "Médée" (1969) avec Maria Callas, "Le Décaméron" (1971), primé à Berlin. Ses romans ("Les ragazzi", "Une vie violente") racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal.

 

Dans le parabolique "Théorème" (1968), il pervertit une famille bourgeoise. Son cycle romanesque s'achève avec l'inachevé "Pétrole" dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres. Dans son ultime interview télévisée, accordée à Philippe Bouvard le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo: "Scandaliser est un droit. 

"Scandaliser est un droit

Pasolini jouit déjà d'une certaine notoriété dans son pays pour ses recueils poétiques ("Le rossignol de l'église catholique", "La meilleure jeunesse" et surtout "Les cendres de Gramsci") quand le cinéma le fait connaître à l'étranger. Passant du réalisme ("Accattone", "Mamma Roma") à l'adaptation symboliste (Boccace, Sophocle, Sade), il réalisera au total 23 films jusqu'au dernier, le sulfureux "Salò ou les 120 jours de Gomorrhe" en 1975, qui sortira après sa mort.

 

Il a aussi signé "L'évangile selon saint Matthieu" (1964), grand prix du jury à la Mostra de Venise, "Théorème" (1968), "Médée" (1969) avec Maria Callas, "Le Décaméron" (1971), primé à Berlin. Ses romans ("Les ragazzi", "Une vie violente") racontent sa fascination, son attirance pour les jeunes hommes, petites frappes des faubourgs romains au parler si particulier qui lui rappelle la langue du Frioul maternel et ses débuts de poète dialectal.

 

Dans le parabolique "Théorème" (1968), il pervertit une famille bourgeoise. Son cycle romanesque s'achève avec l'inachevé "Pétrole" dont les révélations contenues dans un chapitre prétendument disparu auraient pu lui valoir sa mort, selon une théorie parmi cent autres. Dans son ultime interview télévisée, accordée à Philippe Bouvard le 31 octobre 1975 à Paris, Pasolini résume ainsi une partie de son credo: "Scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir". 

Martyre ou crime politique 

Pasolini est assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975 sur une plage d'Ostie, près de Rome. L'Italie traverse ses "années de plomb".

 

Terroristes rouges et terroristes noirs perpètrent assassinats et attentats.

 

 

Un jeune prostitué de 17 ans, Pino Pelosi, est le seul condamné l'année suivante. Il affirme s'être battu avec Pasolini car il refusait ses avances sexuelles. Il reviendra des années plus tard sur cette version à laquelle personne, en Italie, n'accorde grand crédit.

 

Crime de petits voyous pris de panique ou assassinat politico-mafieux ? Les deux à la fois, peut-être. L'énigme reste entière. "Il y a eu deux interprétations simultanées de sa mort, soit un martyre complètement conforme à sa poésie et le côté sombre et suicidaire de certains textes, soit un crime politique", analyse l'écrivain français René de Ceccatty, son biographe et traducteur. Dans l'un ou l'autre des cas, c'est une réduction : "En faire une victime trop politique le date et en faire une victime sacrificielle appauvrit son œuvre, car cela implique une œuvre très noire alors qu'il y a une vitalité désespérée".

 

De nombreux hommages lui seront rendus au cours des prochains mois, en Italie comme à l'étranger. Une rétrospective de ses films est programmée à Los Angeles jusqu'au 12 mars grâce à un partenariat entre Cinecittà et l'Academy Museum of Motion Pictures.

 

Avec AFP

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