Robert Badinter, une mort qui nous peine

Une vie consacrée à la défense les droits humains

L'ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, Robert Badinter est mort dans la nuit de jeudi à vendredi à l’âge de 95 ans. L'un de ses principaux combats, en tant qu'avocat, puis comme garde des Sceaux, fut l'abolition de la peine de mort, votée par l'Assemblée nationale en 1981. 

Il a échappé à la Gestapo

Né en 1928 à Paris, Robert Badinter est issu d'une famille juive de Bessarabie, dans le Sud-Est de l'Europe. Lors de la Seconde Guerre mondiale, son père, Simon, est arrêté à Lyon par la Gestapo le 09 février 1943 et déporté au camp d'extermination de Sobibor, en Pologne où il mourra. Avec son frère et sa mère, Robert Badinter échappera lui à Gestapo et se réfugie en Savoie. Ils vivent cachés dans une maison de Cognin, près de Chambéry, du printemps 1943 à l'automne 1944. Robert Badinter, alors adolescent, servit d'interprète aux troupes américaines lors de leur arrivée à Chambéry.

 

Après la guerre, Robert Badinter commence des études de Lettres et de Droits, avant de s'inscrire au barreau de Paris en 1951. Jeune avocat, il rencontre Henry Torrès qui lui partage son aversion pour la peine de mort, un dégoût qui l'accompagnera durant toute sa carrière. Après avoir obtenu une agrégation de Droit en 1965, il devient maître de conférences à l'Université, mais ne quitte pas pour autant le prétoire, plaidant à nombreuses reprises contre la peine de mort.

 

Une vie de lutte contre la peine de mort

Son combat pour l'abolition de la peine de mort débute le 28 novembre 1972. Ce jour-là, il assiste à l'exécution de son client Roger Bontems qu'il n'a pas réussi à sauver de la guillotine. Cet ancien militaire avait été condamné en tant que complice d'une prise d'otages meurtrière. En septembre 1971, Roger Bontems et Claude Buffet, tous deux détenus à la centrale de Clairvaux, dans l'Aube, prennent en otage une infirmière et un surveillant, retrouvés égorgés.

 

Lors de son procès, Roger Bontems est défendu par deux avocats abolitionnistes, Robert Badinter et Philippe Lemaire.

 

C'est la première fois que Robert Badinter défend un homme encourant la peine capitale. Il demande la grâce présidentielle pour son client, mais celle-ci est rejetée par le président Georges Pompidou. Durant ce procès, il est reconnu que Roger Bontems n'a pas tué, il est tout de même condamné à mort et guillotiné à la prison de la Santé fin 1972. Ce fut un moment marquant pour Robert Badinter qui décrit, dans L'Abolition, être passé de "la conviction intellectuelle à la passion militante" contre la peine de mort.

 

Cinq ans plus tard, Robert Badinter défend avec Robert Bocquillon Patrick Henry, jugé devant la cour d'assises de l'Aube pour le meurtre d'un enfant de 8 ans, Philippe Bertrand. Patrick Henry avait enlevé le petit garçon à Troyes le 30 janvier 1976 pour réclamer une rançon à ses parents. Son corps est retrouvé deux semaines et demie plus tard, enroulé dans une couverture sous un lit dans une chambre d'hôtel. Aux enquêteurs, Patrick Henry avoue avoir tué l'enfant parce que "ses pleurs le gênaient".

 

"La France a peur",

lance alors du journal télévisé le présentateur Roger Gicquel. Tout laisse alors croire que le tueur écopera de la peine capitale, des manifestants réunis devant le tribunal criant "à mort" durant tout le procès. Mais Robert Badinter fera de ce procès très médiatisé, celui de la peine de mort.

 

Devant les jurés, Robert Badinter évoque ainsi "le bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux". Son client sera condamné à perpétuité et évitera la peine capitale, du fait de circonstances atténuantes. Ce jugement aura une forte résonance dans les débats sur l'abolition de la peine de mort.

Robert Badinter parviendra ensuite à cinq reprises à sauver la tête d'hommes condamnés à mort. Puis, en 1981, le président de la République François Mitterrand l'appelle à rejoindre le nouveau gouvernement. Il deviendra ainsi garde des Sceaux, jusqu'en 1986.

 

Dès ses premiers mois en tant que ministre de la Justice, Robert Badinter porte le projet d'abolition de la peine de mort, mettant en œuvre la promesse de campagne de François Mitterrand.

 

Devant l'Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, il tient un discours enflammé contre la peine capitale : "Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue".

 

Le projet de loi est voté le lendemain par les députés, puis le 30 septembre par les sénateurs. La loi portant abolition de la peine de mort est ensuite promulguée le 9 octobre 1981. Elle sera inscrite dans la Constitution par le Parlement réuni en Congrès à Versailles 25 ans plus tard, le 19 février 2007.

 

La mort d'un Juste

Outre l'abolition de la peine de mort, l'ancien ministre a porté nombre de grands combats tout au long de sa vie en œuvrant notamment pour l'amélioration des conditions de vie dans les prisons. Il a aussi fait voter la suppression des quartiers de haute sécurité, celle de juridictions d'exception, l'accès des justiciables français à la Cour européenne des droits de l'homme, une loi sur l'indemnisation des victimes d'accidents de la route...

 

Un ardent défenseur de la communauté LGBT+

En 1959, il est l'avocat de l'artiste Jacqueline Dufresnoy que l'on connaît sous le nom de "Coccinelle", lors de son changement d'état civil. En tant que ministre de la Justice, Robert Badinter a toujours apporté son soutien à la communauté LGBT+, militant pour les droits homosexuels dès son arrivée au gouvernement. C'est lui qui a œuvré aux côtés de la députée Gisèle Halimi, pour la dépénalisation de l'homosexualité en France.

 

À cette époque, la majorité sexuelle est fixée à 21 ans pour les homosexuels, contre 15 ans pour les hétérosexuels. Une discrimination que dénonce Robert Badinter. Le garde des Sceaux porte donc devant le Parlement le projet de mettre fin à cette discrimination.

 

Le 4 août 1982, l'Assemblée nationale supprime ainsi deux spécificités pénales contre les rapports de même sexe, comme promis par François Mitterrand durant sa campagne présidentielle. Deux amendements sont supprimés du Code pénal : le premier sanctionnait "tout acte impudique ou contre-nature avec un mineur du même sexe", fixant la majorité sexuelle homosexuelle à 21 ans, l'autre aggravait l'outrage public à la pudeur s'il consistait en un acte homosexuel. L'Assemblée Nationale demande également à ce que les fiches de polices qui recensaient les homosexuels soient détruites. De manière générale, le gouvernement tente de faire changer les mentalités et s'engage à reconnaître et valoriser les droits des homosexuel-le-s.

 

A noter qu'un an après le vote de la loi du 4 août 1982 sous l'impulsion de Robert Badinter, l’Assemblée avait pour rappel, également aboli la possibilité d’annuler un bail pour cause d’homosexualité.

 

"Des homosexuels ont payé de leur vie, de leur liberté, une orientation sexuelle, le droit de chacun à disposer, adulte avec un adulte consentant, de son corps. C'est cette répression que nous refusons", a-t-il clamé en mai 2009, au premier congrès mondial contre l'homophobie et la transphobie, au Quai d'Orsay.

 

Les homosexuels "sont les victimes d'une barbarie qu'il nous faut sans cesse dénoncer".

1789, Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

 

Le texte

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

 

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être Suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

 

Article premier

- Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Article 2

- Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

Article 3

- Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Article 4

- La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5

- La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Article 6

- La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7

- Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance.

Article 8

- La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9

- Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10

- Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Article 11

- La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12

- La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Article 13

- Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14

- Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15

- La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16

- Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

Article 17.

- La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

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